Les authentiques, véridiques et
historiques origines de la pizza
Saviez-vous que, comme le premier chemin de fer, l’origine de la pizza est forézienne?
Depuis fort longtemps, les habitants de nos villages construits vers les huit cent mètres d’altitude, où ne poussent guère que la pomme de terre et le sorbier, vont chercher leur alimentation vers des pommes de terre plus propices; à quatre cent mètres plus bas pour le vin et à quatre cent mètres plus haut pour le lait.
Sur les coteaux qui entourent Boën sur Lignon, on peut voir en lisière des vignes des loges un peu plus hautes que les autres et flanquées d’une petite construction. Ces vignes-là appartiennent aux montagnards qui viennent cultiver quelques métérées1 de ceps pour assurer et « boire ». Comme ils descendent de leurs rudes terres pour quelques jours, la petite bâtisse sert d’écurie à leur cheval et d’abris à leur char et si la loge est plus haute que celle de vignerons boennais, c’est qu’ils y ont aménagé un étage (seraient-ils aussi les inventeurs de la mezzanine?) où ils peuvent coucher.
De même, aux beaux jours, ils quittent leur village pour monter en estive avec leur troupeau vers douze cents mètres d’altitude, au-delà des forêts de sapins, sur les hautes chaumes de Pierre-sur-Haute. Là, ils retrouvent un autre monde d’habitat, la jasserie2. Cette vie pastorale, loin de la civilisation, permet aux femmes de tricoter des bas pour l’hiver ou d’enfiler des perles de chapelet d’Ambert, pendant que les hommes cassent du bois pour alimenter l’âtre. C’est une vie rude. Aussi nos vacherons des monts du Forez essaient-ils d’améliorer la variété de leur alimentation car, à la longue, même l’excellent « patchia3 » devient monotone.
Originaire de la Valla, Norbert Chassal était un paysan actif; il avait à la fois vigne sur Boën et jasserie au Béal, et bourré d’idées avec ça. Il avait observé que les vignerons cultivaient quelques plants de tomates à côtés de leurs loges, dans un coin bien abrité du vent et bien ensoleillé. Pourquoi, se dit-il, ne pas en planter à la jasserie? En effet, pourquoi pas? Vous savez, ne serait-ce que par un dessin de Félix Thiollier dans son « Forez pittoresque et monumental », que les jasseries étaient autrefois couvertes, non de tuiles comme en notre siècle, mais de chaume ou plus exactement de sagnes4. Il choisit la pente bien tournée au midi, à l’adret, où le soleil darde à la verticale. Pour assurer l’étanchéité, il posa des mottes avec l’herbe en dessous, jeta par-dessus une bonne épaisseur de terre de bruyère, si fertilisante, et planta ses tomates. Ce sont d’ailleurs aujourd’hui les seules tomates sur le Marché Commun cultivées sur la terre de bruyère, d’où leur saveur très particulière.
Comme pour ses matefains5 (dont il commençait à se lasser), il étala sur sa table une pâte fine, qu’il roula amoureusement avec une chopine6 jusqu’à ce qu’elle fut aussi mince qu’une tranche de jambon, presque translucide. D’une tomate écrasée il fit une marmelade qu’il étala soigneusement sur toute la pâte et pour lui donner du goût, se disait-il, il râpa avec son couteau une lamelle de fourme dont il saupoudra sa préparation. Dans un four à pain bien chaud, il glissa ce nouveau plat forezien créé avec les seuls produits qui étaient à sa portée.
Ah! Quel délice! Finie la monotonie de la cuisine des hautes-chaumes! La nouvelle se propagea sur toute l’échine des montagnes du soir, de la Valla à Sauvain en passant par Jeansagnère, la Chamba, le Col de la Loge, et Chalmazel.
Au début de l’hiver, en ce temps-là, les plus pauvres Sauvagnards quittaient leur clocher et partaient comme scieurs de longs, les uns vers l’ouest dans le pays de la Loire, les autres au-delà des Alpes, en Lombardie, mais surtout en Piémont, sur les traces des soldats de Bonaparte.
Là aussi dans les bois la vie était rude. Heureusement, entre le dialecte de Foréziens et celui de Piémontais, on pouvait se comprendre et se comprendre d’autant mieux qu’on avait, en fait, la même existence que les gens de la montagne pauvre. Les Foréziens voyaient les transalpins rouler aussi leur pâte, non pour en faire des matefaims, mais pour les couper de cent manières, en rubans comme des serpentins, roulés comme des cigarettes, torsadés en spirale, pliés en quatre, tordus en nœuds papillon, en leur donnant cent noms, panzerotti, tagliatelle, gnocchi, macaroni, fettuccine, spaghetti, comme si la multiplicité des appellations pouvait en faire autre chose que des pâtes et leur apporter quelque variété.
Un jour de repos, Norbert Chassal proposa aux piémontais de réaliser une autre cuisine que les pâtes de tradition. « Au lieu de toujours manger vos tomates, pomidori, vos pommes d’or, comme vous le dites, coupées en quatre avec une pincée de sel, je vais vous montrer comment nous les préparons chez nous ». Et il fit comme s’il était dans sa jasserie. Faute de fourme, il se contenta de râper du parmesan. Les italiens se régalèrent comme les foréziens l’été précédent. Naturellement, ils voulurent savoir le nom de ce plat exceptionnel qui venait d’une autre montagne que leurs Alpes natales et qu’ils ne connaissaient pas. « Chez nous, leur apprit Chassal, le plat de pommes de terres est le « patchia », mais cette pâte ainsi préparée est la « pitchia » parce que je la malaxe avec soin comme font les gamins sans appétit de chez nous qui « pignochent » en tournant et retournant dans leur bouche les aliments avant de les avaler ».
Du Piémont, la « pitchia » descendit en Lombardie, alla jusqu’à la lagune de Venise, gagna la Toscane et ayant touché le talon de la botte latine, remonta par la Calabre, Rome, la Ligurie, le comté de Nice, Saint-Tropez, Saint-Gilles du Gard, Saint-Ferréol d’Auroure, Sainte-Sigolène, Saint-Christo-en-Jarez et même Saint-Georges-en-Couzan. Au cours de son périple dans la péninsule, la « pitchia » s’était italianisée et nous est revenue sous le nom de « pizza » qui sonnait mieux « mezza oce »… Jusqu’au jour où un forézien lui a redonné sa véritable origine et ainsi ses lettres authentique de noblesse. Nous lui devons reconnaissance.
Merci à Albert Chazal!
La Pranière, par Jean-Paul Gourgouillon
Edité par Bussy en 1986
(d’après les archives de la sacristie de Miladzeux-en-Forez, aimablement communiqué par Madame Veuve Agathe Coleigne-Fayard, servante du curé Pialosso).
Note
A la fin du XVIIIe siècle, un forézien, originaire de Saint Just en Bas régalait les parisiens dans un restaurant qui portait le nom « Le Grand Véfour ».
Aujourd’hui, notre compatriote Albert Chazal étonne, au « Train Bleu » de la gare de Lyon, la Capitale avec ses spécialités de charcuterie forézienne, sa fourme, ses « Côtes du Forez » et, depuis peu sa « Pizza forezzi ».
Lexique
1 * Une métérée : parcelle de terre qui représente 1 000 m² (exactement 950 m²).
2 * Une jasserie : dans les montagnes du Forez, c’est une petite habitation utilisée l’été pour la fabrication du fromage.
3 * Patchia : (en patois de Saint Bonnet le Courreau; Patia ailleurs), plat servi en fin d’estive dans les hameaux des Monts du Forez. Le patchia : pommes de terre coupées en lamelles qui mijotent dans de la crème sur le coin du poêle pendant des heures (trois ou quatre) dans un chaudron.
4 * Sagne : roseau pour faire une toiture végétale.
5 * Matefaim : crêpe épaisse faite de farine, œufs, eau, lait, on incorpore dans la préparation des pommes.
6 * Chopine : mesure de capacité d’une demi-pinte, soit un demi-litre. Le vin se vend à la chopine.